J’ai fini par m’interroger sur la place des femmes au sein du pays du soleil levant, pays intriguant, entre amour des traditions et modernité. Cet article sera découpé en plusieurs parties : les modern girls et les geishas, pour donner un peu de contexte, avant de finir sur la situation actuelle et les mouvements féministes.

Dans les années 1920, les modern girls (aka Modan Gāru ou moga) étaient les sex-symbol du Japon. Elles étaient alors aux antipodes du modèle traditionnel japonais –les femmes devaient être discrètes et soumises– et étaient des femmes libres, émancipées, et à la pointe de la mode. La réalité était plus nuancée, car beaucoup d’entre elles jouaient avec ces codes et passaient d’une apparence traditionnelle à une apparence de moga selon les circonstances.
Mais quelles sont les origines de ce phénomène ? Après la Première Guerre mondiale, les États-Unis deviennent un allié de poids pour le Japon. Ainsi, le mode de vie consumériste américain commence à s’immiscer au sein de la culture nippone, notamment via le cinéma. A cette époque, la femme populaire était représentée comme « garçonne » et jouait le rôle principal. Cette représentation a fait écho au Japon, et son équivalent a été la moga. La tenue traditionnelle japonaise commence alors à être remplacée par des vêtements plus occidentaux –et les mœurs également-. Il faut néanmoins préciser que cette rage moderniste n’a chamboulé que les grandes villes ; les zones rurales restant exclues de ce type de mouvements. Les femmes de zones rurales avaient bien trop à faire, devant gérer les tâches domestiques, et n’ayant ni le temps ni l’argent de suivre ce mouvement.
Pour résumer l’attitude des moga, il faudrait dire qu’elles étaient exubérantes, et qu’elles s’adonnaient à des activités considérées comme masculines : boire, fumer, s’intéresser à la conduite automobile –sport qui ne pouvait être pratiqué que par les hommes-.
Ce mouvement peut paraître féministe, et il l’est selon moi, parce que ces femmes osaient mener leur vie comme elles l’entendaient, plutôt que de se conformer aux traditions. Néanmoins, les moga et les mouvements féministes de l’époque n’étaient pas du tout en accord.
Cette culture semble avoir disparu au moment de la Grande Dépression, dans les années 1930. Quelques années plus tard, le gouvernement a souhaité imposer de nouveau à la société l’image idéale et traditionnelle de la femme au foyer.
Et aujourd’hui ?

De façon générale au XXème siècle, les Japonaises quittent leur travail lorsqu’elles se marient, puis y retournent lorsque leurs enfants ont grandi.
En effet, 20% des femmes quittent leur travail une fois mariées ; 44% le font dès qu’elles ont leur premier enfant. Leurs emplois sont souvent à temps partiel et peu rémunérés : les femmes gagnent en moyenne 24,5% de moins que les hommes –contre 13,1% en France en comparaison–. Le Japon est le second pays avec la plus grande inégalité salariale parmi les pays de l’OCDE, derrière la Corée.
Les Japonaises ne jugent donc pas judicieux de travailler à temps plein, et consacrent la majorité de leur temps à s’occuper du foyer. Même si depuis les années 1980 les femmes japonaises participent de plus en plus au marché de l’emploi et que leur statut se modernise, elles ont malgré tout toujours tendance à complètement sacrifier leur carrière afin de s’occuper de leur famille. Le fait qu’elles n’aient pas vraiment de perspectives de carrière et qu’elles soient en général office lady –s’occupant principalement de la paperassse– les dégoûte souvent du monde du travail et leur donne envie de se marier au plus vite afin de pouvoir démissionner.
A contrario, les postes occupés par leurs maris requérant de longues heures de travail, ils sont peu présents : elles doivent donc assurer sur tous les plans de leur vie privée. Il semble qu’à la maison, les Japonaises soient celles qui gèrent le budget, et qui prennent les décisions importantes.
Nous pouvons donc en conclure que les Japonaises sont souvent tiraillées entre l’idée de faire des études et de mener une carrière tout en renonçant à avoir une vie de famille, ou de renoncer à sa carrière afin d’être au foyer et de s’occuper des enfants. Un équilibre entre ces deux sphères, privée et publique, est peu envisageable.
Aujourd’hui, le Japon est classé 110ème (sur 149 pays) en termes d’égalité des genres par le Forum Économique Mondial en 2018.
Il n’y a que 13% de femmes au Parlement japonais. Parmi les managers, on retrouve en moyenne 10% de femmes, contre 90% d’hommes.
De plus, il y a une réellement pression envers les jeunes Japonaises à propos du mariage. Avant 30 ans, elles sont encore considérées comme bonnes à marier. A partir de cet âge fatidique, la situation se complique pour elles. A 35 ans, elles sont même considérées comme de « vieilles filles ».
Néanmoins, le Premier ministre Shinzō Abe a lancé une campagne pour réduire les inégalités de genre, nommée « Womenomics ». L’objectif était alors d’augmenter la participation des femmes japonaises au marché du travail. En 2019, le taux d’emploi des femmes atteignait 67% : il n’avait jamais été si élevé. Mais malheureusement, la pression rencontrée dans le milieu du travail n’a pas été prise en compte.

Je ne pouvais pas écrire cet article sans parler des geishas. Les geishas sont des artistes qui ont un rôle d’hôtesses, et qui exécutent divers arts japonais comme la musique traditionnelle, la danse, des jeux et entretenir une conversation. L’objectif principal des geishas est de divertir une clientèle masculine.
Les geishas ne sont pas des prostituées, malgré le fait qu’elles y soient pourtant souvent assimilées. La confusion vient du fait que prostituées et geishas se trouvaient dans les mêmes quartiers au XVIIIème siècle ; et que certaines prostituées japonaises se faisaient appeler « geisha girls » dans les bases américaines au Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui a alimenté la confusion. Pourtant, leurs professions sont différentes : la pratique des geishas est légale, et elles ne doivent pas avoir de rapports sexuels avec leurs clients.
Elles sont formées de façon très stricte, en tant qu’artistes qualifiées. Elles suivent une formation dès leur plus jeune âge dans ce but, coupées des choses modernes considérées comme futiles. Néanmoins, il n’y a pas vraiment d’écoles de geishas, ce sont des « maisons ». Il n’y a pas d’âge limite, mais les postulantes ont moins de 20 ans en général. Elles sont formées pendant 6 ans et commencent à donner des spectacles après 7 mois de formation.
Aujourd’hui les geishas se font de plus en plus rares (elles sont environ 200 à Kyoto, 1 000 dans tout le Japon). Elles tendent à être remplacées par des divertissements plus modernes. En fait, même les Japonais ont tendance à considérer les geishas comme un vestige du passé.
Quid du féminisme au Japon ?

Le féminisme est apparu au XIXème siècle au Japon, et s’est principalement développé au XXème siècle.
Depuis quelques années, la jeunesse japonaise tente de se rebeller contre les normes strictes du pays, telles que la très forte compétitivité scolaire, la soumission à la hiérarchie –au sein de la famille mais également dans le monde du travail-, mais aussi de faire entendre les voix des femmes.
Le magazine Seitō 青鞜 est née au Japon en 1911 et son nom est une traduction en sino-japonais du terme « Bluestockings », qui désigne les membres du salon littéraire londonien présidé par Elizabeth Montagu. Il est entièrement rédigé par des femmes, et bien qu’apolitique au début, son histoire et celle des femmes qui ont rédigé des textes dans cette revue ont nourri le féminisme japonais, qui s’est ensuite bien plus développé. Il permet notamment aux femmes de créer des liens nouveaux et un mouvement de solidarité. Certains articles dénonçaient l’oppression patriarcale (mariage, morale, mœurs traditionnelles) et encourageaient l’émancipation des femmes. Cette revue littéraire a grandement participé à instaurer de nouvelles valeurs au sein de la société nippone
Après cette première vague féministe, le Japon en a connu une seconde à partir des années 1970, nommée « woman lib ». Son objectif était de libérer la femme japonaise, de casser l’idée des rôles genrés, ou de donner accès au divorce. Néanmoins, la prise de conscience reste limitée.
Il y a aujourd’hui une forte stigmatisation des féministes au Japon. En 2015, une journaliste nommée Shiori Itō a attaqué en justice un reporter, proche du Premier Ministre Shinzō Abe, pour agression sexuelle. Malgré un procès de 4 ans, le reporter Yamaguchi ne sera jamais reconnu coupable mais devra payer des dommages et intérêts à Shiori Itō. Cet événement est marquant pour le pays : Shiori Itō était presque la première femme à dénoncer publiquement un viol. Le Japon en est ressorti divisé. Mais Shiori Itō est devenue la chef de file du mouvement #MeToo dans le pays, et a ouvert la voie à de nombreuses femmes.
Malgré tout, les féministes nippones affirment que se dire féministe est particulièrement stigmatisant, dans la sphère privée comme publique.
En effet, au terme « féminisme » ェミニズム sont associées les notions d’hystérie et de haine. Indépendamment de la génération, du milieu social ou de la situation, aborder le sujet du féminisme jettera un grand froid dans une conversation.
D’ailleurs, les choses n’ont pas particulièrement évolué par la suite. En 2019, le mouvement #KuToo a été lancé par Ishikawa Yumi. L’objectif était alors de protester contre le port obligatoire des talons au travail ; ce à quoi le Ministre du Travail et de la Santé Takumi Menoto a répondu que le port de talons au travail était approprié, et nécessaire.
En 2020, un père a été innocenté pour le viol de sa fille de 19 ans. En 2018, la meilleure école médicale du pays a avoué avoir truqué ses concours d’entrée afin de réduire le nombre d’étudiantes. La même année, des hommes entrent dans un wagon de métro réservé aux femmes pour protester contre ce qu’ils considèrent être des discriminations à leur encontre. Malgré l’émergence de mouvements féministes, il reste encore beaucoup de travail avant de réussir à faire changer les mentalités.
Douces effrontées
Votre commentaire