Portrait d’une effrontée | Phûlan Devi

Phûlan Devi (ou Phoolan Devi), « Reine des bandits », est une parlementaire indienne née en 1963 et morte assassinée en 2001.

Son enfance

Phûlan Devi naît dans une famille de Mallah (des pêcheurs), d’une caste défavorisée. Ils vivent alors dans l’Uttar Pradesh, une province rurale et très peuplée.

Ses parents ont quatre filles et un unique garçon, ce qui complique grandement leur situation financière (voir l’article Être une femme en Inde). Son frère est le seul à aller à l’école, et les filles commencent à travailler tôt. La famille a très peu de moyens et souffre de la faim. Seule une de ses sœurs et Phûlan resteront en vie jusqu’à l’âge adulte.

Le père de Phûlan est régulièrement volé et battu par les villageois de la caste dominante, les Thakurs. Cette situation enrage Phûlan, qui ne supporte pas de voir son père se soumettre.

Dès son plus jeune âge, Phûlan apprend à se méfier des hommes, à couvrir son corps, à ne pas se balader seule, à fuir si elle se sent menacée. A seulement 11 ans, elle est mariée à l’un de ses cousins de 33 ans. Malgré le fait que la tradition veuille que les jeunes filles restent chez leurs parents jusqu’à leurs 16 ans, elle est tout de même envoyée chez cet homme très rapidement après le mariage. Il l’emploie comme esclave domestique, la bat et la viole à répétition. Elle tombe malade, mais il refuse de la faire soigner : elle rentre alors chez ses parents. De fait, son mariage est annulé, et elle perd donc tout statut dans la société indienne. Traditionnellement, les femmes ayant rompu leur mariage sont dénuées de tout droits et reniées par leurs famille. Pour de nombreuses femmes, se jeter dans le puits du village est la seule échappatoire. Mais Phûlan se révolte.

La révolte

La réputation de Phûlan cause de nombreux problèmes à sa famille, et son père a du mal à se faire payer. Elle travaille pour l’aider, mais finit par être envahie par la colère et refuse de se soumettre, notamment aux Thakurs. Un jour, ils la frappent sous les yeux de ses parents et la livrent à la police en prétextant qu’elle fait partie des Dacoïts, des bandits qui pillent les villages.

Les policiers font ce qu’ils veulent d’elle : elle ne sait ni lire, ni écrire, et signe donc tout ce qu’on lui donne. Ils l’attachent ensuite dans une cellule afin de profiter d’elle pendant 3 jours, avant de finalement la lâcher dans la rue.

Elle rentre chez ses parents, et sa réputation ne fait qu’empirer. Considérée comme impure, elle n’a même plus accès au puits.

Sa rage ne cesse de grandir.

Les Thakurs ont pour objectif de la détruire psychologiquement, ce qui nourrit son esprit de révolte. Ils finissent par commanditer son enlèvement par les Dacoïts, qui la font marcher toute une nuit pieds nus dans la forêt. Elle n’ose même pas regarder ces hommes qui la terrifient. Le chef du clan, un Thakur, tente de la violer. Il est alors tué par un autre Dacoït, Vikram, qui devient chef en prenant sa défense. Lui et tous les autres membres du clan sont des Mallah, comme Phûlan. Par la suite, ils prennent soin d’elle.

Ils l’emmènent à l’occasion de l’un de leurs pillages, durant lequel elle découvre qu’ils volent les riches pour redistribuer aux pauvres. Malgré leur réputation, elle se sent en sécurité auprès d’eux.

Phûlan a alors 16 ans, et vit une véritable histoire d’amour avec Vikram (22 ans), avec qui elle se marie ; les Dacoïts deviennent une véritable famille pour Phûlan. Vikram promet de la venger.

Elle s’engage à défendre les plus faibles auprès des Dacoïts. Elle apprend à tirer, porte l’uniforme et le foulard. Les Dacoïts la vengent : ils se rendent chez son premier mari, puis s’en prennent aux Thakurs, qui commettent régulièrement des viols.

Phûlan et Vikram sont acclamés dans les villages les plus défavorisés, mais leurs têtes sont mises à prix par la police. Beaucoup les considèrent comme des Robins des Bois, et prennent Phûlan pour une incarnation de Durgā, l’une des divinités principales du panthéon hindou. Durgā est le symbole de la victoire du bien sur le mal.

Sri Ram, un Dacoït thakur chef d’un gang rival, les attaque de nuit et abat Vikram et ses hommes. Il ne supportait pas l’idée que Vikram, un Mallah, ai pu atteindre un poste de pouvoir. Il épargne Phûlan et l’emmène dans les villages thakurs alentours, où elle sera violée à de nombreuses reprises pendant 23 jours. Alors qu’elle est sur le point d’être brûlée vive, un Brahmane (une caste liée au sacré) prétend vouloir abuser d’elle pour l’aider à s’enfuir. Il sera tué par la suite.

Image issue du film Bandit Queen

La cheffe de gang

Phûlan est de nouveau libre, et son sentiment de révolte a été nourri par ses traumatismes consécutifs. Elle a alors 17 ans, et fonde un nouveau gang dans le but de traquer ses bourreaux.

Ses hommes et elle sont régulièrement appelés pour punir de nombreux violeurs : ils sont impitoyables, et Phûlan devient une icône pour les femmes pauvres.

Sri Ram, l’homme qui a volé la vie de son mari et ses hommes, meurt lors d’un règlement de compte dans lequel Phûlan n’est pas impliquée. Elle obtiendra tout de même vengeance en tuant une vingtaine de ses complices thakurs. Elle niera plus tard avoir participé à cette action, mal perçue par le peuple : les personnes assassinées auraient été choisies par hasard. De plus, il est encore choquant en Inde que son gang, de caste inférieure, ai pu tuer des Thakurs, de caste supérieure. Pour finir, le fait que la cheffe du gang soit une femme ne fait pas l’unanimité. Tant d’éléments qui choquent les Indiens de l’Uttar Pradesh.

Phûlan devient l’ennemi numéro un, et la police déploie tous ses efforts pour la retrouver : son arrestation est un véritable enjeu politique, mais elle demeure l’héroïne du peuple. La presse ne parle plus que de la « Reine des Bandits », et des poupées à son effigie, habillées en Durgā, sont même vendues sur les marchés.

La rédemption

Malgré les efforts mis en place par la police pour retrouver Phûlan et son clan, et la promesse de la Première Ministre Indira Gandhi de les capturer, ils demeurent introuvables. Ils connaissent la région mieux que quiconque.

Après deux ans de cavale, en février 1983, Phûlan décide de se rendre. Elle a eu sa vengeance, de nombreux hommes de son clan ont perdu la vie, et elle est épuisée.

Elle se rend, mais négocie ses conditions d’arrestation. Phûlan demande la garantie de sa sécurité, de ne pas être condamnée à mort, des terres pour ses parents, que son frère ai un travail au gouvernement, et un procès équitable pour ses hommes qui ne devront pas faire plus de 8 ans de prison. Elle arrive coiffée de son fameux bandana rouge au point de rendez-vous fixé avec le gouvernement, où l’attend une foule de plus de 10 000 personnes. Elle dépose ensuite les armes au cours d’une cérémonie très théâtrale, devant une photo de Mahatma Gandhi et la déesse Durgā. La foule scande son nom jusqu’à la prison de Tihar, à Delhi, où elle restera 11 ans en attendant son procès. Elle est accusée de 48 crimes.

Pour des raisons électorales, le gouvernement finit par abandonner les charges contre Phûlan. Avec l’appui du Parti Socialiste (Samajwadi Party), elle est libérée à ses 31 ans.

24/04/1996 Phûlan Devi, entourée de partisans et protégée par un garde du corps pendant sa campagne électorale dans l’Etat d’Uttar Pradesh / AFP PHOTO / RAVI RAVEENDRAN

Entrée dans la vie politique

L’ex-reine des bandits rejoint le Parti Socialiste, qui souhaite porter la voix des opprimés et se présente aux élections. Ainsi, Phûlan Devi entre au parlement en 1996. Elle y œuvre pour la protection des personnes défavorisées et des femmes, en faisant voter plusieurs lois. Elle est en lice pour le Prix Nobel de la Paix dès l’année suivante.

Mais Phûlan a de nombreux ennemis : les Thakurs souhaitent toujours se venger, et les Fondamentalistes hindous veulent l’empêcher de mener ses actions politiques. Le 25 juillet 2001, alors qu’elle rentre d’une session parlementaire, elle est assassinée de deux balles dans la tête devant chez elle. Ce meurtre est revendiqué par un Thakur, nommé Sher Singh Rana, qui devient un véritable héros au sein de sa communauté.

La mort de Phûlan provoque un soulèvement populaire, et son meurtrier est finalement condamné à perpétuité dans la prison de Tihar.

Toute sa vie, Phûlan n’a eu de cesse de combattre les inégalités en Inde. On ne peut qu’imaginer à quel point elle aurait pu changer les choses si elle avait vécu plus de 38 ans.

Les Culottées, Pénélope Bagieu

Pour aller plus loin :

  • Bandit Queen, un biopic de Shekhar Kapur sorti en 1994. Il est tiré de l’histoire vraie de Phûlan Devi, et inspiré de sa biographie écrite par Mala Sen. Il est disponible en intégralité sur YouTube
  • Moi, Phoolan Devi, reine des bandits, de Phoolan Devi elle-même, publié en 1998
  • La reine des bandits: La véritable histoire de Phoolan Devi, récit, publié par Mala Sen en 1993
  • Le dernier souffle de Phoolan Devi, reine des bandits, Dimitri Friedman, 2012
  • Phoolan Devi, reine des bandits, bande-dessinée de Claire Fauvel, parue en 2018
  • Culottées, de Pénélope Bagieu. Dans cette bande dessinée, Pénélope Bagieu expose la vie de femmes extraordinaires, dont Phûlan Devi. Seules quelques pages lui sont dédiées, ce qui suffit à donner un bon aperçu de ce qu’a pu être sa vie

Cassandre

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