On oscille souvent entre seconde main et marques éthiques lorsque l’on cherche à consommer mieux. Mais côté luxe, où en est-on à ce sujet ? Il semble que cette industrie puisse être parfaitement compatible à la RSE, mais qu’en est-il aujourd’hui ?

La RSE devient peu à peu un incontournable, et s’impose dans les entreprises. Certaines sont convaincues de sa nécessité, tandis que d’autres suivent le mouvement afin de conquérir encore davantage de consommateurs –ou simplement afin de ne pas en perdre-.
Mais alors comment des maisons de luxe, souvent critiquées pour leur utilisation de matières dites « nobles » depuis des décennies –cuir de crocodile, fourrures, etc.– peuvent-elles aujourd’hui développer leur RSE ? Est-ce du greenwashing ?

Aujourd’hui en tout cas, la RSE devient une nécessité pour les grandes entreprises. Mais les maisons de luxe ne sont pas réputées pour leur transparence, elles restent même plutôt mystérieuses. De plus, comme je l’évoquais tout à l’heure, les matières utilisées par l’industrie du luxe sont parfois très controversées. Ainsi, les peaux animales ne font pas l’unanimité, et l’extraction des pierres précieuses et minéraux fait de plus en plus débat.
D’un autre côté, le luxe est synonyme de qualité, et propose donc des produits plus durables, comme le rappelle Élise Laville, fondatrice du cabinet de conseil Utopies –et pionnière du conseil en RSE en France-. La logique voudrait qu’un vêtement de luxe soit porté pendant bien plus longtemps qu’un vêtement de fast fashion. De plus, on achète en théorie moins de vêtements lorsqu’ils sont plus onéreux –évidemment, cela ne s’applique pas à tous-.

On peut clairement remettre en cause l’aspect éthique de l’industrie du luxe. Dernièrement, une info a secoué le monde de la mode : la plus grande ferme d’élevage de crocodiles en Australie va être créée par Hermès. Selon les prévisions, elle permettrait d’élever 50 000 crocodiles en 5 ans, afin d’accélérer la production de sacs de la marque. Les 376 hectares de la propriété doivent évidemment être approvisionnés en eau, ce qui pose la question d’une surconsommation d’eau –issue d’un forage-. Cette démarche paraît surprenante, à une époque où de nombreuses maisons de luxe –Chanel, Gucci et Versace par exemple– ont justement renoncé à l’exploitation d’animaux, et arrivent complètement à se passer de ce type de peaux exotiques.
En tout cas, le projet d’Hermès a été vivement critiqué, et PETA a lancé une pétition à ce sujet. L’association a notamment fait valoir que ces élevages étaient cruels, mais également dangereux. En effet, ils favorisent l’apparition de maladies, et donc de pandémies, telles que celle que nous subissons aujourd’hui. Ce qui est d’autant plus questionnable est le fait qu’Hermès comptait tout simplement dissimuler ce projet.
Pour l’aspect social, ce n’est pas mieux. Tout d’abord, on peut pointer un terrible manque de transparence. Certaines marques ont d’ailleurs été boycottées par les consommateurs qui considéraient qu’elles ne faisaient pas assez d’efforts sur le plan social. D’après un reportage de Cash Investigation sur France 2, la filière cuir est lourdement impliquée dans ces débordements. En effet, 70% du chiffre d’affaires des deux plus gros groupes du luxe aujourd’hui –LVMH et Kering– est issu du cuir. En s’intéressant de plus près à la production de cette matière, les journalistes se sont rendus compte que l’une des usines faisait vivre un enfer à ses employés. Journées de 13h, des payes qui ne tombent parfois pas pendant plusieurs mois, pas de pauses… En résumé : on sape la dignité de ces hommes et de ces femmes, qui avouent même avoir été tabassés –photos à l’appui-. Parfois, le gérant décide d’enlever les sécurités des machines, afin d’accélérer le rendement, ce qui a bien évidemment causé des accidents du travail –des doigts coupés notamment-.
Dans le documentaire, on entend même le gérant de l’usine dire qu’il aime employer des Sénégalais, car ce sont ceux qui ont « le plus faim ». Il ose même affirmer qu’ils sont parfois un peu faiblards lors du Ramadan –alors que l’endroit dans lequel ils travaillent peu atteindre les 45°C-. En bref, comme on pouvait s’en douter, le personnel de ces usines ne reçoit aucune considération.
Je n’ai pas besoin de développer davantage : comme toutes les entreprises liées à la mode, l’industrie du luxe a encore beaucoup de progrès à faire. Je ne pense pas qu’elle soit pire que celle de la fast fashion ; mais les consommateurs peuvent être plus exigeants envers ces dernières, étant donné les montants investis afin d’obtenir des produits de qualité. Il n’est plus tendance en 2022 d’ôter la vie à un animal afin d’avoir un manteau en fourrure, d’exploiter des êtres humains pour une bague, ni de polluer la planète pour une paire de chaussures.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, et les faits présentés ci-dessus, de nombreuses maisons de luxe se tournent petit à petit vers la RSE. En effet, elles ne mettent pas forcément cet aspect élémentaire de leur entreprise en avant. Elles ne veulent probablement pas laisser l’image « green » de leurs produits l’emporter sur leur qualité ou leur image. N’avez-vous jamais pensé que la mode écoresponsable n’était pas esthétique, pas tendance, ou encore pas sexy ? Parce que personnellement, oui. J’imaginais de grands pulls amples et informes, des pièces fades, peu flatteuses ; ou encore des motifs ringards. Mais j’ai pu savourer l’évolution de ce secteur, et voir la mode écoresponsable devenir l’égale de sa consœur.
En fait, des chercheurs (Carlos Torelli, Alokparna Basu Mona et Andrew Kaikai) ont même affirmé que le luxe et la RSE n’étaient pas compatibles. Ils ont découvert que la RSE pouvait faire perdre de la valeur aux maisons de luxe, simplement dans la façon dont les consommateurs perçoivent leurs produits. Ils associent ces objets et services à la « perfection », ainsi, associer cette quête à la RSE pourrait mener à des résultats négatifs.
Je pense que leurs recherches expliquent bien pourquoi les actions RSE des grands groupes de luxe ne sont pas dévoilées au grand jour, ou du moins pas mises en avant : elles sont subtiles, visibles pour ceux qui les considèrent comme importantes, mais presque invisibles pour les consommateurs qui ne se sentent pas concernés par ce sujet.
On peut notamment citer LVMH, qui a mis en place une « direction de l’environnement » dès 1992. De plus, des responsables et équipes environnement apparaissent également dans les maisons du groupe. LVMH a ainsi introduit le programme LIFE –LVMH Initiatives For the Environment– en 2012, qui a notamment permis le lancement d’une charte visant le bien-être animal -en ce qui concerne l’approvisionnement en matières premières-. LVMH a fixé des objectifs communs aux maisons que le groupe représente. Il faut tout de même rester attentifs : comme je l’ai dit plus haut, LVMH fait la majorité de son chiffre d’affaire sur le cuir ; et possède une majorité des fermes de crocodiles du Nord de l’Australie. On peut donc encore douter de leur réelle implication sur le sujet.
Durant le G7 d’août 2019, François-Henri Pinault, PDG de Kering (Gucci, Yves Saint Laurent…) présentait le « Fashion pact« , un accord entre 32 entreprises internationales, qui a pour vocation de mener à un changement global. Et je pense que l’intérêt de la RSE et du Développement Durable au sein de grandes maisons de luxe se situe bien là : donner l’exemple. Ces entreprises sont pionnières dans de nombreux domaines, et posent à chaque nouvelle collection de nouvelles bases, de nouvelles normes, et de nouvelles règles du jeu. Ainsi, j’ose espérer que l’aspect éthique suivra à son tour ce processus, et que, demain, il sera démodé d’exploiter les travailleurs et les ressources naturelles de façon déraisonnable.
A contrario, je reste perplexe au sujet du « Fashion pact ». Parmi les marques signataires, on retrouve Adidas, H&M, Gap et Nike, qui font parties des entreprises qui ont été reconnues comme profitant de la mise en esclavage des Ouïgours. De plus, comme dit ci-dessus, le groupe Kering représente une part importante de l’industrie du cuir. Évidemment, il y a très probablement de nombreux autres problèmes éthiques au sein des entreprises membres du Fashion pact.

Gucci utilise aujourd’hui exclusivement des matériaux recyclés et recyclables lors de ses défilés -cartons d’invitation, décors…-. Gucci, Armani, Prada, Burberry et Versace ont banni la fourrure, et Chanel a renoncé aux peaux précieuses –crocodile notamment-.
Les grandes maisons de luxe ont toujours su s’adapter à innover, et c’est ce qui en fait des icônes mondialement connues et reconnues. Chanel par exemple, a su trouver son équilibre entre tradition et modernité.
Grâce à leur capacité d’innovation, elles peuvent –pourraient ?– atteindre leurs objectifs écoresponsables. Le Groupe Kering a d’ailleurs créé un laboratoire dédié aux textiles et tissus durables, en 2013. Cette année-là, le groupe s’est également associé avec Worn again, une start-up qui permet de recycler les fibres de polyester usagées, afin d’en faire de nouveaux textiles.
La Maison Chanel a, quant à elle, lancé en mars dernier un programme d’engagements pour lutter contre le changement climatique, nommé CHANEL Mission 1.5°, qui s’appuie sur l’Accord de Paris sur le climat de 2015. Vous pouvez retrouver le communiqué de presse et le rapport à ce sujet directement sur le site Chanel. La marque se fixe notamment comme objectifs de :
– Diminuer de 50% son empreinte carbone d’ici 2030
– Passer à 100% d’énergies renouvelables, et 97% dès 2021 –ils ont déjà rejoint RE100, une initiative internationale qui regroupe les entreprises les plus influentes, qui s’engagent dans cette transition–
– Compenser leur empreinte carbone en investissant dans des Solutions fondées sur la Nature, ils sont ainsi neutres carbones depuis 2019.
Il faut selon moi se souvenir que les grandes maisons de luxe n’ont pas pour objet social d’être éthiques ou écoresponsable, et qu’elles ont un mécanisme bien rodé. Il est compliqué dans ce type d’entreprise de tout changer du jour au lendemain : les matières premières, les délocalisations, la chaîne de production… Pour autant, ce n’est absolument pas impossible. Ce sont aux consommateurs de changer la donne, en faisant comprendre à ces marques qu’elles DOIVENT changer si elles veulent les garder.
La transparence me semble être le point le plus important. Le greenwashing est particulièrement présent et on se retrouve à ne parfois plus savoir vers qui se tourner, ou en qui avoir confiance. Les entreprises doivent donc se démarquer en étant les plus transparentes possibles. Vous pouvez d’ailleurs retrouver sur le site de Veja une liste des choses qu’ils pourraient améliorer au sein de leur chaîne de production. Après, à vous de voir si vous souhaiter tout de même consommer chez eux, ou non ! Dans le secteur du luxe, il est un peu plus compliqué d’y voir clair. Mais le point positif, c’est que ces marques ne mettent pas du tout en avant une fausse démarche écoresponsable afin de vendre plus. Elles agissent de façon discrète, ce qui sous-entend que ce processus est simplement normal. J’espère que tout ça pourra servir de modèle, et mener à un mouvement encore plus global.
N’hésitez pas à me dire en commentaire ce que vous pensez de tout ça. Pour ma part, je reste confuse à ce sujet ; mais je pense que les choses vont énormément évoluer dans les prochaines années. Et c’est en agissant différemment, en tant que consommateurs, qu’on a le pouvoir de forcer les entreprises à devenir les plus éthiques possible.
Sur le site « MoralScore », vous pouvez accéder à la notation de ces marques selon plusieurs critères –environnement, conditions de travail…-. Il existe égaement l’appication Clear Fashion. N’hésitez pas à me partager vos marques éthiques favorites en commentaire !
Douces effrontées
Sources :
www.welcometothejungle.com/fr/articles/comment-associer-luxe-et-rse
https://redd.nbs.net/articles/le-luxe-et-la-rse-sont-ils-compatibles
www.economie.gouv.fr/entreprises/responsabilite-societale-entreprises-rse
www.greenwashing.fr/definition.html
www.revolutionpermanente.fr/Les-dessous-de-l-industrie-du-luxe
www.chanel.com/fr/rapport-sur-le-climat/
www.carnetsduluxe.com/a-la-une/la-rse-un-terrain-glissant-pour-les-marques-de-luxe
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